Des femmes dénoncent le viol qu’elles ont subi.
En France, 75 000 femmes sont violées chaque année. En moyenne, une toutes les huit minutes. Un chiffre exorbitant, pourtant loin de refléter la réalité, car il ne comptabilise ni les mineures, ni celles, majeures, qui n’ont jamais déclaré le viol qu’elles ont subi. On estime en effet que seulement 10 % des victimes portent plainte. Le viol n’est pas un fait divers, c’est un crime effroyablement banal et massif. Un véritable fléau de société. Et pourtant, le viol est tabou. Comme le dit Clémentine Autain,femme politique, violée à 22 ans : « On peut raconter dans un dîner entre amis ou à ses collègues de bureau que l’on a été victime d’un attentat, que l’on a perdu un proche ou subi un cambriolage. Avec le viol, silence radio. Cet acte touche à la sexualité et la suspicion n’est jamais loin. Le viol est un crime dans lequel la victime se sent coupable, honteuse. Ne pas pouvoir dire ce que l’on a vécu rajoute à la violence subie et contribue à l’impunité des violeurs. » Il est temps que la honte change de camp.
Il est temps que les victimes de viol puissent parler sans risquer des représailles ou la stigmatisation.
Ce film est un manifeste contre le viol. A l’instar de leurs aînées qui avaient signé le manifeste pour le droit à l’avortement en 1971 – Manifeste des 343 –, aujourd’hui, des centaines de femmes anonymes et connues ont décidé collectivement de briser le silence sur le viol dont elles ont été victimes. Elles sont peut-être votre soeur, votre mère, votre fille, votre compagne, votre collègue de travail… Pour toutes, le dire publiquement, massivement, est un acte politique. Ensemble, elles ont décidé d’avancer à visage découvert pour interpeller les pouvoirs publics et la société tout entière. Objectif : favoriser l’émergence de la parole pour que la loi soit enfin appliquée. C’est à cette condition sine qua non que notre société fera reculer le viol.
Ce film dénonce un crime trop souvent ignoré et trop souvent impuni : le viol. Cinq victimes témoignent de leur combat pour être reconnues en tant que telles et faire condamner leur agresseur.
Cinq femmes que rien ne destinait au combat sur l’arène publique témoignent de la bataille qu’elles ont décidé de livrer contre la violence sexuelle ordinaire. Celle qui touche 75 000 d’entre elles chaque année en France, soit près de 206 par jour ! Des chiffres alarmants qui traduisent la banalité d’un crime, certes puni par la loi, mais qui demeure paradoxalement un immense tabou dans une société où le sexe est pourtant omniprésent. Alors, se battre pour faire reconnaître l’agression et condamner son ou ses auteurs relève le plus souvent du parcours du combattant, voire d’un véritable chemin de croix. Au bout duquel on peut parfois obtenir cette victoire qui permet enfin de se tourner vers l’avenir. Encore faut-il pouvoir briser la loi du silence. Les femmes de ce film y sont toutes parvenues.
Violées par un inconnu ou par une personne de leur entourage, elles ont accepté d’être les porte-parole de ces centaines de femmes et de revenir, dans ce documentaire, sur le viol qu’elles ont subi :
Clémentine AUTAIN (39 ans, femme politique),
Isabelle DEMONGEOT (46 ans, ancienne championne de tennis)
Frédérique HÉBRARD (85 ans, écrivain et scénariste)
Anne MONTEIL-BAUER (50 ans, écrivain et plasticienne)
Claudine ROHR (52 ans, employée à pôle Emploi)
Laura (15 ans, collégienne)
Clip Manifeste viol par campagne_contre_le_viol
INTERVIEW C. AUTAIN ET D’A. RAWLINS
Quel a été le déclic qui vous a poussé vous, Clémentine Autain, à écrire un livre sur le viol, Un beau jour… combattre le viol, et vous, Andrea Rawlins, à réaliser un film sur le même sujet ?
Andrea Rawlins : Lors de l’affaire DSK, on a constaté une libération de la parole : le couvercle se soulevait ; dépassant les histoires personnelles, un débat public voyait enfin le jour. On savait que le viol était un crime de guerre. Mais, jusque-là, on ne réalisait guère que, dans notre démocratie où l’égalité se veut plus qu’un mot, le viol soit aussi massif.
Clémentine Autain : La même chose : l’affaire DSK.
Dans le traitement du sujet, il vous fallait donc échapper à l’aspect fait divers pour montrer la « massivité » du viol. Comment avez-vous pensé votre film ?
A. R. : Avec Pascal Manoukian de l’agence Capa, nous avons proposé à France 2, qui cherchait un film « sur » le viol, un documentaire « contre » le viol sous forme de manifeste politique. Nous connaissions le travail de Clémentine Autain. Nous avons naturellement pensé à elle pour être la porte-parole et la marraine de ce film. Pourquoi sous forme de manifeste ? Car tout un chacun se souvient du Manifeste des 343 de 1971. Sa force tenait au nombre de femmes, à la notoriété de certaines d’entre elles, à cette parole collective qui avait fait basculer le grand public et la loi sur l’avortement. Le viol frappe 75 000 femmes par an ; il doit devenir une affaire politique. Entre l’avortement et le viol, la comparaison s’arrête là. Il s’agit de recueillir la parole des victimes pour que l’on prenne enfin la mesure de la massivité du viol.
Les femmes témoignent donc dans votre film…
A. R. : Comment aujourd’hui notre société démocratique, dite égalitaire, fabrique t-elle des violeurs ? Pourquoi les viols sont-ils si nombreux ? C’est très prétentieux de dire ça, mais, pour comprendre comment la société a permis la Shoah, Primo Levi a décrit l’horreur des camps. Les femmes, dans mon film, disent ce qui leur est arrivé. Nombre d’entre elles racontent que, lorsqu’elles ont enfin trouvé l’énergie d’en parler, on leur a rétorqué grosso modo : « C’est comme un rhume, ça va passer », le genre de propos exprimés lors de l’affaire DSK : « Il n’y a pas mort d’homme », c’est seulement « du troussage de domestique »… Leurs mots à elles étaient banalisés. Certaines ne se remettent jamais de n’avoir été ni entendues ni prises en charge.
C. A. : Le film participe de ce travail au long cours d’éducation populaire que l’on doit mettre en oeuvre pour libérer la parole. Pour la première fois, un nombre considérable de femmes s’inscrivent dans une démarche combattante et racontent à visage découvert qu’elles ont été violées.
A. R. : Elles ne sont pas juste là pour dire qu’elles ont été victimes d’un violeur, mais pour que leur vécu devienne un combat politique. Clémentine rappelle toujours l’importance de parler et de se montrer.
C. A. : Témoigner déclenche et libère la parole. Il faut que les femmes parviennent à dire ensemble : « Nous avons été victimes de viol ; je suis l’une d’entre elles. » Et ainsi briser le silence et l’anonymat. Qu’est-ce qu’un crime où l’on ne voit pas les victimes ? Est-ce que le viol existe ? Est-ce qu’elles existent ? C’est primordial de donner à voir des visages de femmes. De femmes vivantes, qui existent, qui ont envie de se battre.
A. R. : Plus les femmes violées se rendront visibles, plus elles seront nombreuses à parler, et plus on prendra conscience que le viol n’est ni un fait divers ni un chiffre.
Justement, quels sont les chiffres ?
A. R. : On estime à 75 000 le nombre de femmes violées chaque année. L’enquête a été faite sur un échantillon de 15 000 femmes à qui on demandait si elles avaient ou non été violées, sans prendre en compte les victimes mineures. Le chiffre de 75 000 est loin de refléter la réalité. Une femme violée toutes les huit minutes est pourtant déjà un nombre inquiétant. Avec le Manifeste, on cesse de donner des chiffres désincarnés. Apparaissent des femmes avec des prénoms et des noms, des âges, des professions – le viol n’épargne aucun milieu – et des visages. On montre leur nombre pour qu’enfin la question du viol en France soit abordée sur la place publique et considérée comme un sujet de société plus qu’alarmant.
C. A. : Le silence fait le jeu des violeurs. Ainsi peuvent-ils continuer en toute impunité. Parler est notre arme pour faire reculer le viol ; il faut déployer cette parole et, de ce point de vue, l’affaire DSK a été utile. D’un côté les femmes racontaient leur histoire, faisant naître une solidarité entre elles ; de l’autre se déversaient sur Internet des flots de misogynie et de déni du viol. Cependant, quelque chose a eu lieu. On ne peut gagner la confrontation politique que si on la mène.
Comment avez-vous sélectionné les personnes qui allaient témoigner dans votre film ?
A. R. : Il était essentiel de montrer la réalité du viol et, notamment, le fait que, contrairement aux idées reçues, dans la majorité des cas, le violeur appartient à l’entourage affectif ou professionnel de la victime. Les six femmes de mon film ont entre 15 et 85 ans, elles sont issues d’environnements socio-professionnels très différents : l’une travaille à mi-temps à Pôle Emploi, une deuxième est collégienne, une troisième, écrivaine, a été violée par son compagnon, polytechnicien… A travers elles se découvre la réalité du viol dans notre société : les unes victimes d’un inconnu, les autres de leur père, de leur ami, de leur médecin ou de leur entraîneur sportif… quelqu’un de leur entourage, dans 80 % des cas. J’ai choisi six femmes, six porte-parole pour leur donner le temps de s’exprimer, pour ne pas survoler leur témoignage. Il n’y a pas non plus de commentaires. Je voulais leur rendre cette parole, si souvent censurée. Le documentaire démarre par une galerie de portraits de femmes. Toutes étaient prêtes à participer à ce film. C’était formidable. Je les en remercie, car ce sont elles qui rendent le combat possible.
Pourquoi avoir choisi délibérément de ne mettre aucun garçon, alors qu’un viol sur dix touche un homme ?
A. R. : Parce que, dès le départ, j’étais partie sur l’idée du Manifeste. Pour moi, c’était un combat politique, le Manifeste contre le sexisme. Evidemment, je me suis posé la question des hommes. Si le viol d’une femme est un tabou, celui d’un homme l’est encore plus. Si les femmes arrivent à gagner ce combat, la deuxième lutte pour gagner cette bataille sera de faire un film sur le viol des hommes.
Etes-vous pour un durcissement de la loi contre le viol ?
C. A. : Penser à durcir la loi pour la rendre encore plus sévère, encore plus sécuritaire, ne débattre que de ça, c’est bien français… Certains points juridiques sont à améliorer mais ce qui est essentiel, c’est la sensibilisation de la société et la formation aux raisons et aux conséquences du viol. La priorité consiste à développer les moyens d’une éducation populaire ; informer, permettre ainsi aux femmes d’aller porter plainte ; faire de la formation à très grande échelle de tout le personnel qui peut être amené à rencontrer des victimes ; donner les moyens à la justice d’instruire le procès sans devoir attendre cinq ans après le dépôt de plainte.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans les témoignages que vous avez reçus ?
A. R. : C’est de réaliser combien le viol est toujours aussi tabou. Il a fallu un film pour que les langues se délient. Dans ce café où nous nous trouvons, il y a peut-être une personne sur cinq qui a subi un viol et qui n’en a jamais parlé ou alors seulement sous le sceau du secret. Je cherchais des porte-parole, des égéries. Même si elles ne se sont pas toutes reconstruites, j’aime leur combativité.
Pourquoi, selon vous, le viol est-il si tabou ?
C. A. : Parce qu’il touche à la sexualité, laquelle est taboue dans notre société. Parce qu’il est l’expression ultime de la domination masculine, or la question féministe intéresse globalement assez peu ; on n’a pas forcément envie de gratter. Existe aussi une intériorisation de la domination ; le phénomène de la domination produit du silence du côté des femmes et la protection implicite des violeurs du côté des dominants.
Donc les femmes sont toujours opprimées ?
C. A. : On se demande toujours comment un système d’oppression fonctionne. Pourquoi les gens qui sont dominés, exploités ne se révoltent pas et comment cela peut-il continuer ? Il existe des mécanismes qui le permettent. Le propre des rapports dominants-dominés consiste en l’intériorisation de la domination chez les dominés et en la capacité de ceux qui détiennent le pouvoir de s’y maintenir. Puis intervient le mythe : celui de celle par qui le mal arrive. Cette suspicion est très forte à l’égard des femmes Le viol est le seul crime au monde où la victime se sent coupable ! C’est insensé.
A. R. : Existe, comme le raconte Clémentine, la sidération, ce mécanisme psychique qui permet de se dédoubler pour supporter l’horreur, une espèce de coupure. Toutes les victimes ont vécu au moment du viol cette anesthésie, cette dissociation entre le corps et l’esprit qui les empêche de hurler et de se débattre.
C. A. : On se sent humiliée de ne pas avoir dit non, de ne pas avoir arrêté le violeur. Pour être féministe, disait Christine Delphy, il faut reconnaître que l’on est victime. Et le reconnaître est douloureux, car il n’est pas agréable de se voir soi-même en victime. Néanmoins, c’est un passage obligé pour ne plus l’être, pour sortir de ce statut.
Votre histoire de viol ne ressemble pas à celle des autres…
C. A. : Elle ne rentre pas dans les clous de la majorité des viols, mais elle correspond à l’image d’Epinal que l’on en a, mis à part qu’elle s’est déroulée de jour et non de nuit. Hormis ce détail, on se croirait dans un film ; un homme armé, un inconnu, m’a violée dans un sous-bois. J’ai porté plainte tout de suite, il a été retrouvé et condamné. Dans la réalité massive du viol, la personne est connue de la victime (80 %), ce qui change absolument tout ; elle n’a pas d’arme et la contrainte s’exerce via le chantage affectif, professionnel… Le fameux phénomène de la sidération rend possible le viol, car les femmes ont intériorisé les codes dominants-dominés. D’un seul coup, une sorte de pilote automatique se met en route, laissant toute latitude aux hommes de violer. J’ai la chance de pouvoir parler au nom des autres. Il ne plane pas sur moi cette suspicion horrible : ne l’a-t-elle pas un peu cherché, a-t-elle vraiment été violée ? Parce que l’homme a été condamné, que j’ai été attaquée avec un couteau, la parole m’est plus facile. Je l’utilise pour défendre tous les cas de viol. Je parle notamment au nom de toutes celles qui n’y parviennent pas, au nom de toutes celles qui sont dans des situations inextricables – parce que le violeur est un parent, un ami, un mari, un médecin… Je parle aussi pour dire aux femmes qu’il est possible de s’en sortir. Même si, parfois, le fait de s’en sortir jette le doute sur la gravité du crime ; et le serpent se mord la queue.
Vous parlez de la suspicion qui met à mal la victime…
A. R. : Il y a cette double peine dans le viol. Lorsque les victimes parlent, elles prennent le risque de n’être pas crues ou d’être stigmatisées. La société n’est pas toujours prête à entendre. Comme le raconte Clémentine, une femme peut raconter lors d’un dîner qu’elle a été cambriolée, qu’elle a été victime d’un attentat, qu’elle a pris une balle dans le ventre. Mais dire qu’elle a été violée est impossible.
C. A. : Révéler un viol crée un malaise. On touche à la sexualité, et la suspicion n’est jamais loin.
A. R. : Dans le milieu professionnel, beaucoup de femmes m’ont déclaré avoir été violées. Elles gardent le silence de peur que leur entourage les perçoivent autrement ; plus fragiles… Les victimes doivent subir aussi la suspicion des policiers. Quand elles déposent plainte un certain temps après les faits, leur mémoire souvent vacillante les dessert. On cherche une mémoire parfaite, précise, impeccable ; c’est impossible après un tel traumatisme.
Quel message voudriez-vous que les téléspectateurs retiennent de votre documentaire ?
C. A. : La force de la parole pour se reconstruire, non seulement face à la justice, mais pour s’exprimer, dire, verbaliser et tout simplement aller mieux, pour s’en sortir. Parler pour pouvoir vivre et non survivre après un viol.
A. R. : Il y a un long chemin à parcourir. Le film et le Manifeste peuvent être un levier supplémentaire. J’aimerais que mon documentaire parle aux téléspectateurs, à la société toute entière, à tous ceux qui, souvent sans le savoir, ont dans leur entourage une personne qui a été violée. Car comprendre ce qui se joue dans un viol, c’est comprendre l’importance de la parole et permettre d’aider sa libération sans la censurer par des clichés sexistes. Le viol, c’est une personne qui, à un moment donné, n’est plus considérée comme un être humain. Le viol, c’est une personne qui est considérée comme un objet par quelqu’un qui passe outre à son refus. Le viol, c’est quand le non d’une femme ne vaut rien.
Voir l’extrait du documentaire sur France 2
Revoir l’article du Nouvel Observateur : « LE TABOU DU VIOL : L’appel de Clémentine Autain »